Balla Moussa Keita. (Photo Vincent Fournier).

Les chroniques du Prince Mandingue, Balla Moussa Keita.

Dans ses chroniques de cette Afrique-là, le prince Mandingue Balla Moussa Keita, nous entraine au Burundi et, de ce beau pays plat au relief monotone, vers le Rwanda des mille et une collines avant de revenir à Kinshasa. C’était peu de temps avant les irruptions d’un volcan génocidaire qui, aujourd’hui encore, fait parler de lui dans la région des grands lacs.


Le séjour burundais se passant tant bien que mal, j’eus l’occasion d’une manière fortuite de rencontrer mon N’Kurunziza (voir épisode précédent). Eh oui, à chacun son N’Kurunziza… En effet, il était de notoriété publique que Deogratias N’Kurunziza, patron d’une entreprise de publicité, ne voulait pas de concurrent, sauf à travailler sous son couvert. Les entreprises étrangères qui venaient prospecter dans le pays devaient forcément passer par lui et lui rétrocéder une partie des gains récoltés…

Cette rencontre le mis tellement mal à l’aise qu’il voulut s’éclipser, feignant de ne pas me voir. Sauf qu’il fut aussitôt appelé par la tenancière du bar restaurant qui souhaitait vivement que nous fassions connaissance. C’est en ce moment, très agacé sans me regarder dans les yeux,  qu’il répondit a madame Umurundi : « je le connais,  on s’est déjà vu. »

-En effet, il a raison, on se connaît, dis-je avec un sourire qui en disait long. Et j’enchainais aussitôt : « puis-je vous offrir un café,  Monsieur N’Kurunziza ? »

-Non merci je viens d’en prendre, et m’apprêtais à partir pour un rendez-vous.

En s’éloignant à toute vitesse, il promis de me rappeler pour une prochaine rencontre…

C’est ainsi que j’expliquais à Mme Umurundi  les raisons de cette esquive. Stupéfaite, elle m’avoua qu’elle avait plus ou moins eu vent d’un dépôt de plainte de Deogratias N’Kurunziza contre un étranger qui aurait refusé ses offres de collaboration mais qu’elle ne savait pas que c’était moi… La rumeur avait fait le tour de la petite ville de Bujumbura. A travers elle, j’apprendrai que monsieur n’était pas à son premier coup d’essai et qu’il s’était fait pas mal d’ennemis. On m’informa aussi de la mise en garde dont il avait fait l’objet, lors de sa convocation chez le commissaire,  quant à ma sécurité durant mon séjour.

Les bureaux de M N’Kurunziza se trouvaient au 2ème étage d’une galerie   et au rez-de-chaussée, il y avait le bar restaurant de Mme Umurundi. Cette galerie était le passage obligé, le lieu de rencontre de la jet set burundaise, des étrangers de passage,  et aussi des élites … « Amahoro Bar » était le point de départ des informations de toute nature.  C’est là qu’on prenait la température de Buja,  le diminutif de Bujumbura.  A force de le fréquenter entre deux rendez-vous, et aussi pour avoir été l’homme par lequel « le scandale » est arrivé ( la convocation et la mise en garde concernant  Deogratias N’Kurunziza), j’étais le bienvenu, traité avec déférence. Comme me dira quelqu’un, un jour, « votre passage à Bujumbura, a provoqué un électrochoc quant aux agissements de M N’Kurunziza, qui se croyait tout permis ». Bref, l’homme n’avait pas bonne presse, était détestable … d’ailleurs il n’a jamais accepté mon invitation à partager un café, sachant que des policiers en civil étaient toujours dans les parages.

Qui l’eût cru ! Moi l’indépendant, assoiffé de découvertes,  de liberté à  explorer, butiner en toute quiétude  selon mon intuition et mon envie, me voici flanqué d’un garde de corps, ce qui réduisait ma marge de manœuvre. Cette réduction de liberté ne m’empêchait guère de faire un tour tous les jours, à chaque fois que je le pouvais, pour rendre visite aux compatriotes ouest-africains, composés essentiellement de commerçants, quelques restaurateurs et antiquaires. Je ne pouvais pas m’empêcher de leur poser la question de savoir comment se passait leur séjour ? Le rapport avec les autochtones?…

il y en a qui vivaient là depuis des décennies, et qui avaient fondé foyer. J’ai souvent bénéficié de l’hospitalité de certains de ces couples mixtes à partager des moments d’échange accompagnés de bon plats. Dans mon hôtel, se trouvait une boutique d’art, tenue par un certain Barry, de nationalité guinéenne dont la famille  vivait à Abidjan.  C’est cet antiquaire qui me fera découvrir le restaurant ‘Mama Solo ‘, propriété d’une malienne. Le restaurant Mama Solo est situé à Bwiza, le quartier où tout le monde se mélangeait ; burundais,  ouest-africains  et européens. Chez Mama Solo, comparativement au bar restaurant Amahoro,  l’ambiance était populaire  malgré des tables en bois délavé  recouvertes de plastique,  le toit en tôle. L’on y mange bien en quantité et en qualité.

La spécialité de la maison c’est le « zamé », nom donné par les maliens au riz gras que les sénégalais appellent « Tchieb ». Le zamè ici était devenu un plat prisé des burundais. Enfin Mama Solo avait l’avantage d’être à proximité des boîtes de nuit ouvertes jusqu’au petit matin.

Une nuit, en rentrant de chez Mama Solo,  voilà que le réceptionniste me tendit une enveloppe dans laquelle se trouvait un bout de papier qui disait ceci : « Nat, a perdu son frère,  il est décédé hier à Abidjan, et vous demande de la rappeler ». Quelle triste nouvelle ! Ma bien aimée, celle pour qui j’avais des yeux de Chimène venait pour la 3ème fois de perdre un être cher sans que je ne sois présent pour lui apporter mon soutien. Je fus envahi par un sentiment de culpabilité ; ce fut d’abord son père, suivi de sa tante qui l’a élevée,  et cette fois-ci c’est son frère.  Nat était la femme avec laquelle j’avais des projets. De savoir qu’à chaque événement malheureux,  je n’étais pas prés de ma dulcinée pour la réconforter me rendit malheureux. Ma nuit fut blanche, tellement était grand mon chagrin !

Pour la première fois, intuitivement,  j’ai senti mon projet d’union avec mon amour menacé. Très tôt, mon père qui était un homme ouvert, en avance sur son temps,  de par sa culture, m’avait dit un jour ceci : « le manque de cadeaux désagrège l’amour… », je n’ai jamais failli à cet adage. Et je puis vous dire que Nat était toujours comblée ! Sauf que je venais de comprendre aussi que le cadeau seul ne suffisait pas et qu’il fallait aussi de la présence : affronter ensemble les moments difficiles était une gageure pour le renforcement, la cohésion pour ne pas dire la communion dans un couple.

Le réceptionniste qui m’avait tendu cette malheureuse missive avait tout de suite compris, de par la décomposition de mon visage, que les nouvelles n’étaient pas bonnes. La tristesse m’envahit, et je fut pris d’un sentiment de culpabilité, j’étais loin et ne pouvais offrir mon épaule comme appui… A cet instant précis, quand je révélais le contenu de ma missive au réceptionniste, il me présenta ses condoléances, tout compatissant à ma douleur,  c’est lui qui va m’offrir son épaule comme soutien. Voyez vous,  avec la nouvelle technologie,  les relations humaines ont pris un coup. Aujourd’hui dans les hôtels, on n’est pas obligé de passer par la réception,  ou même de dire bonjour à un réceptionniste,  parce que tout simplement il n’existe plus de ces casiers où autrefois les clés étaient rangées. Les  clés sont remplacées par les cartes magnétiques qu’on garde sur soi. Les informations concernant l’hôtel sont consignées sur des cartes  ou sur les portes… plus d’échange,  plus de communication,  quel monde ! Ainsi notre société se prive souvent de ce qu’il y a de plus essentiel au développement humain : le contact, source de savoir, pouvoir et avoir.

Amour quand tu nous tiens ! Cette nouvelle inattendue me plongea dans un questionnement : changer de métier ? Ne plus voyager ? Que faire, ou comment faire pour ne plus jamais être absent, afin de sauvegarder mon amour. Une chose est sûre, j’aimais Nat, mais j’aimais aussi le voyage. Comme je l’ai toujours dit, voyager est mon diplôme. Face à ce dilemme,  le choix était kafkaïen. Mais ne voulant pas m’entendre dire un jour, « on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche », pour rien au monde je n’arrêterais de voyager, source de gain. Soyons clair, autant on apprend en voyageant, autant il peut nous rendre instable… c’est le revers de la médaille.

Nat est aujourd’hui mariée, avec trois enfants comme fruit de ce lien dont je ne fut pas l’heureux  élu. Hélas, il n’empêche, Nat et moi gardons toujours de bons rapports. Ainsi va la vie !

Le moment était venu de dire au revoir à mon ami Kévin et à la belle Nadine qui fut une alliée pendant ce séjour burundais. Quand le haut parleur de l’aéroport de Buja annonça l’embarquement immédiat pour Kigali, je sentis une page qui se fermait et une qui s’ouvrait. Encore un moment douloureux, la séparation… je ne m’en suis jamais habitué.

Dans l’avion, soudain, j’ai pensé à deux pays en Afrique de l’ouest, à savoir le Benin et le Togo qui se ressemblent tellement, et je me suis mis à comparer le Rwanda et le Burundi de la même manière. Deux Républiques sœurs, deux pays frères, indissociables et rivaux, sociologiquement identiques.  Ils sont composés des mêmes peuples ( Hutus, Tutsis, Twa ), parlent la même langue : Kinyarwanda au Rwanda,  Kirundi au Burundi. Les deux pays ont connu la monarchie Tutsi. Ils ont à peu près la même superficie, avec une différence de près de 1500 m2 de plus pour le Burundi. Pris individuellement, c’est 12 fois la Côte d’Ivoire. Le Rwanda a connu la guerre civile sanglante en 1994, et le Burundi en 2005.

En 1959, après le renversement de la monarchie tutsi, les élites Hutus prirent le pouvoir au Rwanda . Ce n’est qu’après 40 ans de régime militaire que les Hutus s’emparèrent du pouvoir au Burundi. Pendant mon séjour, il y avait comme président au Rwanda en la personne de Juvénal Habyarimana, un hutu, et au Burundi, Pierre Buyoya un tutsi. Aujourd’hui c’est l’inverse;

Ce qui m’avait frappé à l’époque c’était la mésentente entre les deux pays, je t’aime moi non plus, mais surtout la méfiance entre hutus et tutsis. Chaque fois que je me suis retrouvé avec des amis dans un bar où un café,  je remarquais que personne ne posait sa bouteille sur la table mais la tenait devant soi. Je remarquais qu’une fois les bouteilles ouvertes, chacun se servait en bouchant le goulot avec son pouce et croisait le bras qui tenait la bouteille dans le dos. Je n’avais jamais compris cette attitude, jusqu’à ce qu’on m’appris que c’était une précaution pour ne pas se faire empoisonner. Là, j’en déduis qu’il y avait un déficit de confiance. Comment le vivre ensemble pourrait être possible dans un tel climat de méfiance ?….petit détail  mais qui en dit long…

J’avais toujours pensé que la langue pouvait être un facteur de cohésion. Mais quand j’ai vu qu’au Rwanda et au Burundi, on ne parlait qu’une seule langue mais que l’union était inexistante,  je compris que le facteur linguistique n’était pas le plus décisif pour parvenir à la Nation.

Pour sûr, le colon belge y avait bien contribué, divisant pour régner, en indiquant sur les pièces d’identité les ethnies. Aussi, le colon a prôné la suprématie d’une ethnie sur une autre tout en sachant que la seule différence entre hutus et tutsis était le physique, l’un cultivateur, l’autre éleveur… 

A travers le hublot de l’avion,  je contemplais cette forêt luxuriante, clairsemée  de huttes, d’habitations austères d’où s’échappait de temps à autre de la fumée. Cette présence humaine que j’avais remarqué pendant le trajet Kinshasa-Kigali montrait que la densité était très forte dans cette région. Je me demandais si les hommes, la faune et la flore ne formaient pas un seul bloc, tellement tout se confondait.

En route pour le Novotel Umubano de Kigali, le chauffeur de taxi n’a eu d’autres choix que de passer par la Radio nationale, là où j’ai failli me faire tuer pour n’avoir pas fait attention que j’étais dans un pays en guerre… « L’étranger a de gros yeux mais ne voit pas », dit un proverbe africain. En effet, ce jour là, j’étais aveugle…. Quel souvenir cauchemardesque ! Ici j’ai appris ce qu’était le couvre feu ? A Bujumbura,  j’ai évité une agression d’hippopotame et j’ai aussi connu ce qu’est être suivi par un garde du corps…

Les hommes et les femmes dans cette partie de l’Afrique sont d’une nonchalance, d’une pudeur, et surtout s’expriment avec une voix calme et posée. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire l’éloge  de ce peuple quand je suis rentré à  Abidjan , et je disais ceci : « j’ai rencontré des africains, il s’agit des rwandais et burundais, qui sont calmes, ne parlent pas fort, ils sont doux ». Quelle ne fût ma, stupéfaction, quand je vis plus tard les images atroces du génocide à la télévision ; des hommes se  découpant à la machette. Ma déception fut grande tellement j’avais encensé  ces hommes. Méfiions nous des eaux dormantes, elles peuvent couver un volcan. Les hommes restent des hommes,  peu importe leur couleur, leur sexe, ou  d’autres considérations.

La fin de mon périple tirait à sa fin dans cette ville de Kinshasa, que je venais de retrouver en ce mois de juin 1991, toujours plongée dans sa conférence nationale surplombée par l’image décadante de la panthère de l’authenticité. Après quelques jours consacrés à finaliser ma mission,  me voici dans un avion cargo dans lequel on improvisa une « classe affaire » pour un semblant de confort.

J’avais pour seul compagnon dans cette classe affaire un certain  Pierre Goudiabi Atepa qu’on appellait « l’architecte des présidents ». Une fois à Dakar après 5h30mn de vol, il me donna sa carte de visite sur laquelle il y avait ses contacts, dont le numéro de téléphone de sa voiture. J’avoue que j’étais bluffé car c’était ma première fois de voir quelqu’un qui avait un téléphone à bord de sa voiture.

Pour avoir gardé de bons rapports avec ce grand architecte sénégalais,  il est devenu aujourd’hui un de mes grands frères,  avec lequel les liens sont solides ! Salut l’artiste.

1 COMMENTAIRE

  1. Interesting. J’ai besoin de savoir comment tu as pu t’en sortir de ces deux salles Dra comme diraient les Ivoiriens:
    1-comment tu as évité une agression d’hippopotame ?
    2-comment tu as failli te faire tuer pour n’avoir pas fait attention que tu étais dans un pays en guerre…?

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