La signature du contrat d’affermage du service public de l’eau et le lancement de la nouvelle société SEN’EAU se sont tenus lundi 30 décembre 2019 à Dakar. Un acte que Serigne Mbaye Thiam, ministre de l’Eau et de l’Assainissement, qualifie de « jalon important dans le processus de réforme institutionnelle de seconde génération du sous-secteur de l’Eau en milieu urbain au Sénégal». Le Groupe SUEZ a ainsi démarré ses activités le 1er janvier 2020. La question qui s’impose est de savoir pourquoi cet empressement si l’on sait que le feuilleton SDE-SUEZ n’est pas totalement vidé par les instances juridiques compétentes nationales et communautaires. En attendant que les moyens de recours ne soient totalement épuisés au Sénégal, la SDE va se plaindre à Abidjan auprès de la Cour de Justice de la CEDEAO. Qu’adviendra-t-il si ces dernières instances parvenaient à donner raison à la SDE ? Une question qui trouve tout son sens si l’on connait la force des lois supranationales sur celles nationales.
L’heure est donc de rétablir la vérité des faits et élucider l’opinion nationale et internationale. Une vérité expliquée autour de « 7 idées phares de la bataille Suez – SDE » qui démêlent le vrai du faux pour permettre à chaque Sénégalais(es) de se faire une opinion. La guerre de l’eau se joue autour d’un contrat d’affermage qui est une des formes de contrat prévue dans le cadre d’accord de partenariat public privé. Dans le cas de la gestion des eaux, l’affermage prend la forme d’une délégation de service public et ce type de contrat est fréquemment utilisé pour la gestion des services d’eau potable et d’assainissement. La collectivité délégante (L’état) assure les investissements, le fermier (souvent une société privée jusqu’ici SDE) supporte les frais d’exploitation et d’entretien courant. Il se rémunère directement auprès de l’usager par un prix convenu à l’avance dans le contrat d’affermage, révisable selon une formule de variation proposée dans le contrat.
Pour couvrir les investissements nécessaires au maintien du patrimoine, l’Etat vote chaque année une part du tarif qui lui reviendra (la « surtaxe »). Le fermier est chargé de recouvrer cette part auprès de l’abonné par la facture d’eau et de la restituer à la collectivité dans un délai court fixé par le contrat.
Suez, le vainqueur désigné
Le Groupe SUEZ, le champion français, désigné vainqueur au terme d’un appel d’offre d’une durée improbable (près de 3 ans) voit son avenir se jouer devant la plus haute juridiction judiciaire du pays : La cour suprême.
Oui, contrairement aux vérités assénées de manière péremptoire, la justice sénégalaise ne s’est pas prononcée sur la requête en annulation formulée par la Sénégalaise Des Eaux (SDE). Au regard des arguments énoncés par l’avocat général, représentant du procureur de la justice et donc du ministère public, on comprend mieux la détermination de la SDE à faire valoir ses droits. Qu’a-t-il dit ?
L’avocat général a retenu 3 points :
L’incompétence temporelle : la commission des marchés a siégé et désigné le vainqueur entre le 2 janvier 2018 et le 25 janvier 2018. Période durant laquelle ladite commission n’était pas nommée. Par conséquent, les actes pris sont nuls. Cette décision est vraisemblablement frappée d’illégalité conclut l’avocat général, représentant le ministère public.
Non-conformité de la SDE :
Pour rappel, la non-conformité substantielle de la SDE a souvent été évoquée par certaines autorités pour justifier le choix de la SUEZ malgré une offre de prix plus élevé.
Rappelant la procédure d’appel d’offre c’est à dire une procédure en deux phases :
• Une phase technique qui permet l’évaluation de la capacité technique des candidats. Les candidats doivent obtenir une note minimale sous peine de disqualification. Les candidats éligibles après cette phase auront l’opportunité de présenter leur offre financière.
• L’offre financière gagnante est selon le code des marchés publics sénégalais le moins- disant sauf s’il existe une grille de pondération (offre technique vs Offre financière) dans le cahier de charge. En absence de cette grille de pondération, les deux phases sont « étanches ».
En conclusion, Il y a lieu de considérer que la décision de l’ARMP souffre d’illégalité́.
En terme profane, on ne peut pas parler de non-conformité de SDE pour des raisons techniques car si elle a été éligible pour la seconde phase, cela signifie qu’elle a donné les garanties de sa capacité technique dans la phase technique.
Comment peut-il en être autrement puisque la SDE est en charge de la gestion de l’eau en zone urbaine depuis 1996.
Conflit d’intérêt :
La SDE accuse le champion Français, Suez d’être en situation de conflit d’intérêt. Pourquoi y aurait-il conflits d’intérêt ?
Suez International réalise en ce moment l’usine de production d’eau potable de Keur Momar Sarr 3 et le Groupe Suez est adjudicataire du contrat d’affermage du l’eau de zone urbaine et péri-urbaines ; SDE affirme qu’en qualité de fermier, le groupe Suez ne pourra pas jouer son rôle de garant-indépendant de la qualité de l’eau qu‘elle distribue. Il y aurait par conséquent des risques de dégradation de l’eau et des risques santé publique.
En effet, on peut se demander comment le Groupe SUEZ pourra juger SUEZ international ? On peut dire que la SONES, jouera son rôle, l’ONAS aussi mais le dernier rapport présenté par Saër Niang, Directeur de L’ARMP, tend à nous faire croire qu’aucun contrôle n’est véritablement fait. En conséquence, il faut que SUEZ dénonce les manquements de SUEZ.
Sur ce point, l’avocat général n’est pas aussi catégorique que sur les points précédents, il émet des doutes.
Le Parquet Général conclue à la suspension de la procédure mais le juge rejettera ses arguments. La procédure de suspension du transfert SDE – Suez peut se poursuivre mais le dossier reste ouvert quant à la requête d’annulation.
SDE, la sénégalaise bafouée
La bataille de l’eau serait-elle aussi une bataille pour gagner le cœur des sénégalais ? Depuis l’adjudication provisoire, la Sénégalaise Des Eaux (SDE) s’est vu qualifié de société française et elle, pour se départir de cette étiquette «impropre», a tôt fait de revendiquer sa «sénégalité».
Mais au fait, qu’est-ce qu’une entreprise sénégalaise ?
Est-ce une entreprise de droit Sénégalais ? Est-ce une entreprise qui paye ses impôts au Sénégal ? Ou, est-ce une entreprise qui emploie des Sénégalais, ou encore, est-ce une entreprise dont le capital est majoritairement détenu des sénégalais ?
Fort heureusement, une entreprise Sénégalaise c’est un peu tout ça à la fois même si je concède que la notion de capital est très importante tout comme le nombre d’employé sénégalais et surtout la place des sénégalais dans l’organisation.
La Sénégalaise des eaux est à bien des écarts une société sénégalaise. Prenons les éléments les moins discutables
- Son capital :
Le capital de le SDE est réparti des façons suivantes :
a. Eranov : 57%
b. état sénégalais : 5%
c. privé sénégalais : 33%
d. personnel : 5%
2) Le nombre de salariés : plus de 1200 employés sénégalais dont un expatrié
3) Le management : En dehors du DGA, la totalité du management est sénégalais(es).
La société est devenue une référence en Afrique, permettant au Sénégal d’être l’un des seuls pays du continent à avoir atteint l’Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD) sur l’eau.
Drapé des couleurs du national, nous étions honorés de voir :
– La ville de Dakar distinguée par la Banque mondiale et la Sénégalaise des Eaux a remporté le prix « Water utility of the year » en 2018
– La compétence des cadres sénégalais reconnues au-delà de frontière avec l’expatriation de nos compatriotes en république démocratique de Congo (RDC)
Peut-on, au nom de choix lors d’un appel d’offre présenter comme «médiocre» ce que nous avons qualifié il n’y pas si longtemps encore de fleuron de l’industrie du Sénégal.
Il faut raison garder car il en va de la crédibilité de nos jugements en tant qu’individu en tant qu’État.
Le Groupe SUEZ est une entreprise française, personne ne peut le nier et aura les agissements conforme à sa culture. La Sénégalaise des eaux (SDE) est entreprise Sénégalaise sinon africaine dont l’ancrage est en Afrique et la culture d’entreprise Africaine.
Qualifier ma SDE de société française est très habile car cela prive l’entreprise d’un de ses éléments de différenciation et permet d’arriver à « Suez et SDE même combat », donc si deux entreprises française se battent pour le contrôle de l’eau au Sénégal, ce n’est pas si grave finalement.
Réveillons-nous, il s’agit de l’affrontement entre deux visions du capitalisme. Suez tenant du capitalisme libéral et SDE, tenant du capitalisme social.
SDE, le péché de corporation
Depuis 1996, la société en charge du service de l’eau de Dakar est la SDE. Elle a signé avec l’État sénégalais un contrat d’affermage pour la production et la distribution de l’eau potable, ainsi qu’un contrat de performances techniques et commerciales pour 10 ans, complété par différents avenants jusque fin décembre 2018.
La SDE est une société privée créée avec la participation d’un partenaire stratégique étranger qui détient 57% du capital, le reste étant constitué de capitaux nationaux.
Au Sénégal, jusqu’à présent, les ouvrages ont été largement financés par la SONES, société publique en charge des infrastructures soutenue en grande partie par l’État sénégalais et surtout par les Institutions financières internationales et d’autres bailleurs, comme les agences de développement européennes.
Le contrat d’affermage est donc un serpent qui se mord la queue : les États contractent des emprunts et financent des infrastructures, privatisent un service public pour avoir accès à des programmes de coopération, et la société privée, qui est la face visible du service pour les usagers, en assure la gestion et en récolte des dividendes.
Avec une telle répartition des missions et charges, difficile d’identifier un responsable dans cette affaire. D’autant que mue par un sentiment d’appartenance à une corporation, la SDE ne s’autorise aucune prise de parole de nature à embarrasser des partenaires de fait.
Ainsi, d’incident en incident, la SDE assiste consentante à sa mise à mort en public. Coupable désigné de toutes les défaillances du système. Sinon, comment explique que l’on puisse reprocher à la SDE le manque d’eau qui résulte de la sous production ? Oui, il manque 100 000 m3/jours pour couvrir les besoins des populations de l’agglomération de Dakar.
Cette situation qui ne sera pas résolue avant 2021 quelque soit le fermier, résulte d’un retard d’investissement de près de 10 ans de société en charge en dépit de budget pharaonique (budget SONES : 76 milliards en 2012). Que dire de la panne de Septembre 2013 qui priva Dakar d’eau pendant de longues semaines et dont on taira la cause qui n’est autre qu’une non-conformité de construction ?
La SDE est coupable d’un péché de corporation et apprend à ses dépens que les amis d’hier sont devenus des adversaires les plus tenaces. Coupable d’avoir cru que la seule proximité avec «l’Etat et ses sociétés satellites» lui garantissait d’un succès lors du renouvellement du contrat. C’était sans compter sur le pouvoir persuasif des moyens de sa concurrente.
Bataille Suez – SDE, l’obscure transparence
Maintenant, on vit tous sur les réseaux sociaux dans un univers où se mélangent trois types de messages : l’information, l’influence et la conversation. Quand ces trois types de messages se mélangent, forcément il y a du vrai, il y a du faux, forcément il y a de l’outrancier et il y a du raisonnable.
La bataille de la communication SUEZ – SDE est une illustration parfaite de ce monde nouveau qui interpelle notre discernement et pour cause nous sommes constamment induits en erreur par des affirmations au fondement vrai. Prenons par exemple l’affirmation souvent reprise par les médias «le partenariat avec Suez permet au l’état du Sénégal d’avoir une meilleure part dans le capital de la nouvelle société».
Cette affirmation est vraie. Mais la formulation est contestable car celle-ci induit l’idée que seul Suez offre cette opportunité. En cela, l’affirmation devient trompeuse car cette disposition est un préalable fixé à tous les participants. Ainsi que ce soit Suez, SDE ou même Veolia, l’état du Sénégal aurait la même part dans le capital de nouveau. Dire cela revient aussi à passer sous silence que l’offre de la SDE même en matière de capital de la nouvelle société était mieux disant que celle de ses concurrents.
En effet, tenu de respecter le nouveau cahier de charge, la SDE devait également faire de la place dans son nouveau capital à ses partenaires locaux ‘ historique’ à hauteur de 19 %. Ce qui conduit à dire que la nouvelle société serait détenue à près de 74% pour les sénégalais à savoir l’état, les privés Sénégalais et le personnel de la SDE.
Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autre d’une présentation biaisée des faits. Cette présentation n’est pas fortuite, elle est intellectuellement contestable car elle met sur la même grille deux situations incomparables. Celle de l’offre de SDE en 1996 puis reconduite par des avenants d’une durée de 1 an et celle de la Suez en 2017.
Pourquoi comparer l’offre de Suez international proposée dans le cadre de l’appel d’offre d’une durée de 15 ans à la situation existante ? C’est comme si on voudrait reprocher à la SDE de n’avoir pas baissé ses tarifs d’elle-même. Là encore, ce serait omettre les termes du contrat d’affermage qui régit cette relation.
Dans son édition du 10 avril 2019, le Canard Enchainé a révélé que SUEZ aurait donné quelques mois avant le lancement de l’appel d’offres cinq camions à bennes tasseuses à la ville de Saint-Louis. Cela a été confirmé par Suez qui n’avait pourtant alors aucune activité au Sénégal.
Pour rappel, dans un article consacré à SUEZ publié par Jeune Afrique (18 novembre 2018), le Directeur Général Bertrand Camus a déclaré que son Groupe avait dépensé « plusieurs millions d’euros » dans cet appel d’offres.
L’eau n’est-il pas juste devenu un enjeu de business avant d’être un enjeu de santé publique pour les sénégalais. La gestion des pénuries coûte plus de 700 millions par an à la SDE. Qui seront les bénéficiaires de ce marché avec le Groupe SUEZ ?
Suez, plus cher que la SDE ?
Mansour Faye, alors ministre en charge du secteur, avait indiqué dès le 1er juin 2019 que l’offre de la SDE était la moins-disante. Mais SUEZ a été désigné vainqueur. Pour justifier sa décision devant le Comité de règlement des différends (CRD), le responsable sénégalais avait indiqué que l’offre de la SDE était entachée de « non-conformités substantielles »
Alors, comment un dossier entaché de non-conformité substantielles peut-il être éligible à l’analyse de l’offre des prix ?
Ce qu’on peut dire de manière factuelle, c’est que l’ensemble des recours n’a pas permis de connaitre ses non-conformités substantielles. Nous nous rangerons donc à l’avis de l’avocat général qui dit que les deux étapes sont totalement étanches. L’analyse des offres fait apparaitre une Différences entre les offres SDE et Suez
– 42 milliards de FCFA dû à la différence de 11,6 F par m3 entre les 286,9 F/m3 proposés par SDE et les 298,5 F/m3 proposé par Suez
– 73 milliards de FCFA dû à la différence de prix de branchements de 99.000 FCFA proposé par SDE contre 239.000 FCFA proposé par Suez
Dans les 2 cas c’est la population qui en fait les frais (par une moindre baisse du prix de l’eau). Un écart dans les propositions de 115 Mds
Si l’appel d’offres avait été bouclé en janvier 2019 : le gain serait de 17 000 FCFA en 2019 par foyer (base 120m3)
SUEZ et le Sénégal, une histoire entre amis
Le dossier de l’appel d’offre pour la gestion de l’eau en zone urbaine et péri-urbaine du Sénégal restera dans l’histoire sur son déroulement chaotique mais également sur le silence assourdissant des agences de coopération qui font pourtant de ce secteur une priorité.
Ce dossier rentrera surtout dans l’histoire car Suez responsable au 1er chef des incidents de septembre 2013 a réussi le tour de force de se refaire une virginité. Mieux, Suez international construit la nouvelle station de Keur Momar Sarr 3.
L’Afrique n’a pas de mémoire, c’est bien connu.. On parle d’intérêt supérieur de la nation, osons croire que tel est bien le cas. Amen.
Mamadou O. Mbaye, fidèle lecteur de Financial Afrik
Édifiant ! A quoi correspond les 200 milliards sur 15 ans dont a parle le ministre lors de la signature le 30 décembre 2019. ?