Par le Prince Mandingue Balla Moussa Keita 

Dans ses voyages nostalgiques à travers ses souvenirs, le Prince Mandingue Balla Moussa Keita raconte l’Afrique de la belle époque, celle de l’hospitalité et du panafricanisme humain. Après Brazzaville, Kinshasa, Lagos, le voilà à Dakar, capitale de la Teranga et de la beauté noire chantée par Senghor. 



Cette chronique est réalisée en partenariat avec l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).


Ah Dakar ! Je vais découvrir le pays de ces femmes qui mesurent souvent jusqu’à 2 mètres, tellement elles sont grandes ! Avec des noms comme Ndeye Fatou, Mame Penda, Soukey Thiam, Sokhona Ndiaye. Ces sénégalaises m’ont marqué pendant mon enfance dans ma ville natale de Bassam. Ainsi s’extasiait mon collègue qui effectuait la mission avec moi au Sénégal. Il continuait en disant ceci : “En plus, elles sont belles et de grandes restauratrices, elles ont des doigts de fée quand il s’agit de cuisine, de vrais cordons bleus. Aussi leur communauté a totalement intégré et impacté nos vies à Bassam”. 

L’implantation de la première communauté sénégalaise remonte à l’an de grâce 1835, exactement le 14 septembre où un corps expéditionnaire français venu du Sénégal pour mettre fin à l’insurrection ivoirienne à Eboué…

Après que nous ayons récupéré nos bagages, nous voici dans un véhicule qui n’a de taxi que de nom, une vraie guimbarde, direction l’hôtel Sofitel Teranga. Une fois à la réception de l’hôtel,  nous nous entendions dire que l’établissement était au complet et on nous conseilla d’aller voir à Novotel. Épuisés que nous étions, nous n’avions d’autres choix que de reprendre un autre taxi pour la prochaine destination. Une fois en dehors du hall de l’hôtel, de l’esplanade,  nous constatâmes en face un stationnement de taxis dont quelques uns de leurs chauffeurs accoururent vers nous pour proposer leurs services. C’était sans compter sur la roublardise de celui qu’on allait choisir pour nous mener à bon port. Il nous mena en bateau par des  detours, histoire de nous faire croire que le Novotel était très éloigné de Sofitel, notre point de départ. 

L’épreuve du Taxi

Réveillé au premier appel du muezzin pour la prière matinale, je tirais le rideau de la chambre pour me renseigner du temps qu’il faisait dehors. A ma grande surprise,  j’aperçus en face, à deux à trois cent mètres, le bâtiment de l’hôtel Sofitel. Stupéfait, je ne me suis pas gêné de réveiller mon collègue qui dormait à point fermé afin qu’il se rende compte de la supercherie du taximan, avant qu’il ne découvre les sénégalaises aux tailles impressionnantes qui le hantaient tant !

Que vois-tu là, lui posais-je la question ?

– Le s…, c’est un voleur ce taximan, il nous a arnaqué, et pourtant on nous avait mis en garde des agissements des taxis de Dakar, me répondit-il. Tellement écœuré par la malhonnêteté du chauffeur qu’il perdit son sommeil, donc plus de ronflement !… et moi j’en profitais pour me rendormir afin de récupérer quelques minutes de sommeil de ma nuit semi blanche.

– Nous décidâmes qu’une fois le petit-déjeuner terminé, de nous rendre aux bureaux du dg ou du directeur de l’hébergement de l’hôtel pour négocier un échange marchandise. C’est en savourant et appréciant le buffet bien dressé du renommé petit-déjeuner continental de la chaîne Novotel, que j’aperçu une silhouette de jeune premier, que je semblais connaître. Au fur à mesure qu’il avançait vers moi avec une démarche élégante et rassurante, que je fini par le dévisager ; c’était M Alassane Diop,  ancien maître d’hôtel à Novotel d’Abidjan, qui participa à ma formation d’hôtelier,  lorsque j’ai décidé un jour de faire partie du groupe qui devait suivre six semaines de formation parce que rémunérée, pour devenir  les futurs employés du futur Novotel d’Abidjan. Pour vous dire la vérité, ma seule motivation fut la prime qui était payée chaque vendredi après les cours pendant six semaines, ainsi je n’avais aucun soucis à me faire pour mes sorties en boîte ! Quand j’ai essayé après la formation de m’en aller malgré que je faisais parti des cinq premiers… la machine se grippa…Un jour viendra où je vous raconterai ce passage qui dura huit mois chez Novotel d’Abidjan qui ouvrit ses portes en 1979…

Quelle surprise ! s’extasia M Diop, et nous nous embrassâmes dans une chaleur fraternelle. Car lui et moi étions devenus des amis tellement nous nous apprécions réciproquement. Je l’avais surnommé Shaft, le titre d’un film américain réalisé en 1971 par Gordon Parks avec la musique de Isaac Hayes en fond sonore. L’acteur principal de ce film, qui était diffusé en série sur les chaînes de télévision ivoirienne en 1973, s’appelle Richard Roundtree, il ressemblait a M Diop Alassane comme deux gouttes d’eau, d’où le surnom Shaft. Il était revenu au Sénégal,  son pays d’origine,  après l’ouverture de Novotel Dakar, pour occuper le poste de directeur de restauration et assurer  l’intérim du dg à chaque absence de ce dernier. Alassane que je pouvais appeler aussi papa parce que feu mon père, paix à son âme, portait le même prénom. Il était, malgré le charisme qu’il affichait, discret et généreux toujours en arborant un sourire qui attire. Après notre échange et après que je lui ai présenté mon collègue, il me recommanda à la directrice chargée du commercial et du marketing qui gère l’hébergement. Malheureusement,  la négociation avec celle-là, pour un contrat d’échange marchandise,  échoua. 

Partis à l’assaut d’autres hôtels pour nous trouver un contrat pour le troc ; des chambres contre des pages de publicité, mon collègue et moi finiront par élire domicile à l’hôtel Miramar sur La rue Félix Faure, quartier Plateau  en plein centre de Dakar sans présager ce qui allait nous advenir. Je conseillais à mon collègue de signaler notre présence auprès des autorités sénégalaises,  en l’occurrence le ministère des Affaires Etrangères, où nous fûmes très bien reçus avec tout ce qu’il y a de magnificence de la Teranga ( hospitalité) de ce pays. Et comme nous étions venus dans le cadre d’une mission de la FACC ( Fédération Africaine des Chambres de Commerce), l’entité à contacter impérativement était la Chambre de Commerce de Dakar, qui nous fournit une lettre accréditive accompagnée de la liste de ses potentiels membres à contacter. Comme cela ne nous suffisait pas, nous nous rendîmes à la grande poste de Dakar dans le but de nous procurer un annuaire des PTT dans lequel est répertorié  toutes les entreprises du pays. Une fois dans cet établissement, on nous dirigea vers le service Relations Publiques, et nous bénéficiâmes de l’hospitalité d’une belle personne, gracieuse avec un sourire ravageur, aguichante avec une voix douce et apaisante. Je n’étais pas indifférent à la vue de cette beauté qui m’envahit de frisson. Elle nous écouta avec attention et nous installa dans un salon, en nous disant de patienter. A l’instant où nous trouvions l’attente longue pour obtenir un annuaire, apparait un homme se présentant à nous comme étant le directeur du département, et engagea un entretien qui ressemblait à un interrogatoire, et fini par nous remettre un annuaire. 

De retour à notre hôtel Le Miramar, le réceptionniste nous remis nos clé avec une enveloppe dans laquelle se trouvait un mot qui n’était autre qu’une convocation, libellée comme suite : Messieurs KEITA et ADOUKO sont priés de se présenter demain à 8h au ministère de la Communication, dont le titulaire à l’époque était un certain Moustapha KA.

Au vu de la convocation,  mon collègue ne pu s’empêcher de crier : < patate ! Je savais que c’était la police >

– De quoi parles-tu ? De quelle police ? Lui répondis-je.

– Ce monsieur qu’on a rencontré fait partie de la brigade qui traque les magazines ou les agences qui viennent prospecter les entreprises sénégalaises à des fins publicitaires,  c’est une sorte de police…

Mon collègue qui était dans le métier des années bien avant, avait été confronté à ces genres de situations dans certains pays, donc il savait de quoi il parlait. Une fois dans les locaux du ministère, quelqu’un nous conduisit à un des départements, la Direction de la Communication dont le Directeur général, nommé M DIONG, nous attendait de pieds fermes. Il nous a soumis à des interrogatoires dignes  d’un Malko Linge, Son Altesse Sérénissime,  le héros de la série de roman d’espionnage SAS, écrit par Gérard Villiers. Après qu’il eût vérifié toutes les informations qu’on avait pu lui fournir,  à savoir,  entre autres, depuis quand nous étions au Sénégal ? Étions nous rentrés par la route, la mer, avion ? Quelles étaient les autorités contactées ?… Informé et rassuré par les agents du ministère des affaires étrangères de notre passage, M DIONG changea d’attitude, en devenant plus avenant et finit par nous dire ceci : < Dans notre déontologie,  toute entreprise de communication ou organe de presse qui vient prospecter au Sénégal doit se faire cornaquer par une agence de droit sénégalais, et à qui vous reverserez les 15% de tout ce que vous percevez comme chiffres d’affaires de vos prospections. Aussi,  on a décidé de vous renvoyez chez vous >.

– Comment ça, nous ramener chez nous ?

– Soyez rassurés c’est pas pour vous refouler en Côte d’Ivoire, c’est plutôt vous mettre  avec l’agence qui appartient à votre Ministre de l’information, elle s’appelle SPT, ainsi vous êtes chez vous, déclara-t-il sur un ton badin.

En effet notre ministre de l’information de l’époque, feu Amadou Thiam,  paix à son âme, avait racheté l’ancien Havas qui était devenu la STP dont le dg s’appelait Romain Senghor.

L’interrogatoire de 3heures d’horloge venait de prendre fin. Au sortir de là, j’avoue que dans ma tête, la Teranga  sénégalaise avait pris un coup…le doute s’était installé.

Nous nous rendîmes à la SPT,  avec la lettre de recommandation du ministère de la Communication, où nous fûmes reçus par M Romain Senghor qui nous installa dans un bureau, en nous en joignant une équipe qui, soit disant,  devait coordonner notre travail, mais qui, en vérité, avait pour rôle de connaître tous les contrats qu’on devrait signer. 

A l’affût des 15% de l’agence ! 

Il faut reconnaître que c’est dans une atmosphère conviviale,  que nous eûmes plaisir à travailler avec la SPT. Le personnel attentionné, le DG qui nous conviait chaque soir à son bureau après le bureau, sans compter que nous recevions des invitations venant de certains employés. C’est ainsi que nous allons nous retrouver  à la même table d’un haut dignitaire du pays, un ancien maire de Dakar dont la fille occupait un poste important à la SPT. 

De cette table bien garnie de plats Sénégalais aux saveurs à vous faire avaler votre langue de travers, aux côtés de ce dignitaire, le père de notre consœur, nous apprenanes une partie de notre histoire commune via ses souvenirs à  l’école William Ponty où il eut à rencontrer d’autres nationalités africaines dont un de mes oncles avec lequel il avait toujours maintenu un contact ô combien fraternel ! Cette révélation me confirma une fois de plus que feu mon père avait raison sur toute la ligne en affirmant que l’homme était la meilleure des richesses, par qui vous avez la trilogie des ‘ oirs ‘ “pouvoir savoir et avoir”. 

En nous disant au revoir, M.Diack nous fit savoir que désormais sa maison et sa famille étaient nôtres. Quelle belle expérience des relations humaines !

En réalité,  je n’étais pas à mon premier voyage au Sénégal. J’y étais déjà venu auparavant dans le cadre du Balafon et du Guide des Hommes d’Affaires Air Afrique,  je descendais à l’hôtel N’Gor Diarama, où mon agence avait préalablement un contrat échange marchandise. N’Gor Diarama est une grande bâtisse de huit étages avec cent vingt quatre chambres, il avait l’avantage d’être près de l’aéroport de Dakar Yoff, et aussi d’être situé en bordure de l’océan, donnant ainsi le choix a ses clients entre ses deux piscines et la plage d’où on pouvait voir en face l’île de N’Gor. Il me revient quand,  effectuant ce premier voyage, j’avais été mis en garde contre les taxis de Dakar, surtout au départ de l’aéroport, n’empêche que nous nous sommes faits floués…

Aux prises avec les Salamalecs 

Dans cette belle et agréable ville de Dakar où nous nous plaisions, va subvenir un malentendu entre mon collègue et moi, quant au mode de la prospection. En effet mon collègue qui était originaire du sud forestier de la Côte d’Ivoire, s’agaçait au téléphone pendant ses échanges avec les prospects, parce qu’il trouvait que la salutation prenait trop de temps, avec son corollaire de questions : comment vous trouvez Dakar ? Vous aimez le Sénégal ? Vous avez bien dormi ? Et votre famille au pays, elle vas bien ? Etc… Il fallut pour corriger cette situation, le faire asseoir et d’une façon pédagogique en discuter en lui disant ceci : << N’as-tu pas fait le même constat avec tes compatriotes originaire du nord de la Côte d’Ivoire,  région de la savane, dont je suis issu ? En quoi ça te dérange d’être patient avec tes interlocuteurs et répondre positivement à leur questions et obtenir à la clé un contrat ? Si tu n’as pas compris que le discours change selon le terrain,  alors là mon ami notre mission est vouée à l’échec. Ressaisis toi >>. Le même jour, mon collègue signa deux contrats, à la fin de la semaine il avait cinq ! Il m’avouera qu’il avait même répondit au DG qui lui avait signé le 5ème contrat avec le plus gros montant, que Dakar était la plus belle ville d’Afrique et qu’il comptait revenir s’y installer…rires

Combien de diplomates, de DG, de responsables ou tout simplement de personnes lambda ont échoué dans leur mission pour n’avoir pas intégré ce que j’appellerai la communication interculturelle ? Il y a un proverbe ivoirien qui dit que l’étranger a de gros yeux mais ne voit pas. Il est très important de prendre en compte la psychologie et la sociologique quand on évolue dans un écosystème différent du nôtre. Comme, entre autres exemples, je vais vous faire part d’une anecdote qui va vous paraître très paradoxale, parce qu’aux antipodes du comportement de mon collègue : embauché par une entreprise de presse en France, je n’arrêtais pas de saluer à tout vent les collègues qui, parfois,  me répondaient, parfois je m’entendais dire, tu m’as déjà dit bonjour, ou ne répondaient pas du tout. En plus de cela, j’étais tellement obéissant quant aux règles de la sociétés que finalement même pendant mes congés,  on m’envoyait en mission, ou me faire faire des tâches qui ne m’étaient destinées…

C’est ainsi qu’un jour, un autre collègue qui avait observé ma façon d’évoluer et de ce que je pouvais subir comme traitement, me convia à un déjeuner pour me donner quelques leçons sur la communication interculturelle, version française pour ne pas dire européenne. Il me dit ceci :<< Écoutes moi bien si tu veux gagner en respect, arrête  de dire à tout vent bonjour, et si tu dois en recevoir par moment,  refuse d’y répondre. Aussi rends toi indispensable en t’absentant de temps à autres, fais toi désirer. Par moment,  vas voir un médecin pour te faire prescrire un certificat médical…>>. Un proverbe africain ne dit-il pas que la personne qui t’observe est plus maline que toi ! L’application de cette leçon reçue d’un collègue sincère me fit comprendre à jamais que les relations humaines quand bien même importantes sont compliquées, mais qu’elles peuvent être aussi complexes. Toujours est il que je changeais de comportement, que le regard sur moi changea ! Ainsi j’avais réussi ma totale intégration, car je n’avais pas un seul instant imaginé que ne pas dire bonjour ou ne pas rendre la politesse,  en un mot qu’adopter les < tares > de quelqu’un,  pouvait s’avérer positif, pour ne pas dire bénéfique. Allez-y comprendre c’est moi qui finalement recevait les amabilités. Quelle société !

Le voyage au Sénégal se conclue bien, par des contrats, de belles rencontres et la preuve une fois de plus, de l’unicité culturelles des peuples subsahariens. 

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