Balla Moussa Keita. (Photo Vincent Fournier).

Les lecteurs le réclamaient. Voici la deuxième saison des aventures du prince Mandingue Balla Moussa Keïta. Sillonnant l’Afrique avec dans sa besace, les trois «Oirs», héritage paternel puisé dans la sagesse Mandingue, Balla Moussa Keïta payera cher le prix de la gloire à Pointe-Noire, entre la dramaturgie congolaise et le rigorisme austère des commerçants ouest-africains.

Revenir à Pointe-Noire après deux mois d’absence ne pouvait faire l’unanimité pour les vieux bambaras Dioulas ( commerçants musulmans rigoristes), eux qui m’avaient accusé a tort de ne pas être fiable du fait de ma non proximité avec les ouest-africains. Le bruit de mon retour fit le tour des boutiques et gargottes en passant par les marchés du centre-ville et de Tié-tié, quartier populaire et banlieue de Pointe-Noire où les chinois avaient érigé un hôpital.

Tout le monde savait que j’avais été refoulé de Brazzaville et que mon retour n’était en rien triomphal. Les commentaires allaient bon train dans la mesure où mon voyage n’avait  pas donné le résultat escompté: mépris sur la marchandise commandée, capital dilapidé etc… échec total.

Ainsi je venais non seulement d’échouer à mon examen de passage comme un bon bambara dioula digne de ce nom mais aussi d’être rejeté d’un milieu où le code vestimentaire était tout sauf costume cravate, accessoires dont je faisais miens. L’heure était venue pour moi de faire mon mea-culpa,  et désormais de bien réfléchir à mon avenir : Que faire ? Me faire embaucher par une entreprise locale dans cette ville qui ne manquait pas d’atouts ???

Monsieur habilleur des sapeurs

Il n’était pas question dans un premier temps de travailler dans une  entreprise privée ou publique ( ce qui était pratiquement impossible ). Je fus éclairé par une idée : faire une étude de marché dans le domaine vestimentaire, comprendre, connaître et faire la différence entre ceux qui aiment s’habiller, et ceux qui aiment se vêtir… établir la différence entre la friperie qui inonde le marché et qui est très appréciée et les prêt à porter des boutiques de luxe.  Aussi il était important de connaître le pouvoir d’achat selon qu’on était d’en haut d’en haut, d’en haut d’en bas, d’en bas d’en haut, ou d’en bas d’en bas. Enfin savoir si les gens avaient le temps de se rendre dans les boutiques ou s’ils s’informaient auprès de personnes qu’ils jugeaient ou appréciaient comme étant des personnes de goût ou des accros à la sape. Car il est à retenir que j’étais dans le pays de la SAPE ( Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes ). D’ailleurs cela  n’a échappé à personne que les deux Congo aient demandé à ce qu’on inscrive la SAPE dans le patrimoine immatériel de l’UNESCO,  après la Rumba… Ainsi, si 20% de la population aimait s’habiller, seulement 7% ( composés de cadres administratifs et de politiciens hauts placés ) étaient nantis financièrement pour s’offrir  le premier choix, mais ils n’avaient pas le temps de faire le shopping,  il fallait aller vers eux.

Me voici devenu le Monsieur habilleur des sapeurs ! Oui un ivoirien qui devient conseiller de fringues dans le pays de la SAPE !!!

Pour réussir à relever le défi, ma stratégie fut simple: recenser les meilleures boutiques de prêt-à-porter,  rencontrer et négocier avec les propriétaires afin de bénéficier d’une marge de pourcentage sur le prix d’achat. Entre autres vendeurs de luxe, dans un premier temps j’eus la confiance de Messieurs Oumar Niangado ( malien ), et Samba Sako ( sénégalais ). Sans voiture, avec une valise ou sacoche remplie d’échantillons de costumes, de cravates, de chemises, de chaussures et toutes sortes d’accessoires,  j’arpentais l’artère principale de la < cité > où je vivait à la < ville >, la cité administrative de Pointe Noire. Ainsi a pied, je rendais visite pour ne pas dire des incursions dans toutes les entreprises ou sociétés situées sur la chaussée droite, susceptibles de regorger des cadres qui payent bien ! Une fois qu’on me passait des commandes fermes dans ces entreprises, je voyais aussitôt le chef du personnel pour assurer mes arrières, ainsi en procédant au payement de salaires,  il défalquait mon dû, se basant sur le commun accord que j’avais préalablement signé avec mes différents créanciers.

Il faut reconnaître que, comme tout début, ce fut difficile et harassant ; faire un trajet de 7 à 10 km, avec les deux bras chargés, sous le soleil et dans le sable de Ponton la belle (Appellation  autrefois de Pointe-Noire), tellement elle était coquette comme ville. Parti de 8h du matin chez moi, je prenais ma pause à midi, au bar restaurant la «Rotonde» : point de rencontre, non seulement de l’élite de pointe noire, mais aussi des «émigrés» européens, employés des grosses entreprises pétrolières. La Rotonde était ma maison, mon bureau,  mon champ, ma scène, ici depuis la première fois que j’ai franchi le seuil et m’assis au bar, je fus aussitôt adopté par le propriétaire Jeannot Peyron, un ressortissant français, qui débarqua au Congo quelques jours tout juste après la proclamation l’indépendance,  le 15 août 1960. Son épouse qui semblait être plus âgée que lui, et qui avait la réputation d’être acariâtre avait fini par m’accepter. Une fois dans ce bistrot, qui portait son nom, car circulaire et surmonté d’une coupole, au lieu de prendre une pause et me restaurer, non j’etais sollicité, interpellé par tel  qui voulait un costume pour un mariage, celui de la table en face voulait des cravates,  sans compter que d’autres attendaient que leurs commandes soient livrées ; déambulant de table en table, évitant ou esquivant les garçons de salle en pleine action pour le service du déjeuner, chargés de plateaux , remplis de plats prêts à être servis. Si j’avais le pouvoir de changer le nom de ce restaurant, au lieu  de ‘ La Rotonde ‘ je l’aurais appelé « Le Matalana » qui veut dire en lingala (le m’as-tu vu ), ici c’était le spectacle, le show ; présentation de la nouvelle robe, le nouveau costume,  exhibition de la nouvelle  «  makangou », c’est-à-dire la nouvelle conquête,  qui certainement a  été ravie à un concurrent qui ne faisait pas le poids financièrement , ou à quelqu’un qu’on taxait d’être  «gnouma» c’est-à-dire qui manque de classe, ou pas assez évolué. On appelle ça  en Côte d’Ivoire un ‘ gaou, au superlatif un gnata ‘. Ici, c’est la frime, la séduction, la concupiscence,  les songui-songui ( ragots ), la zouwa ( jalousie)….Ici tout se fait et se défait. 

La Rotonde ou  «Le Matalana » qui veut dire en lingala (le m’as-tu vu )

La Rotonde était aussi un ‘ Soviet-land ‘, car il était aussi le lieu de rencontre de toutes ces femmes  soviétiques qui s’étaient mariées aux congolais ; elles étaient la plupart des caissières, tenancières de bistrots, souvent divorcées…. j’entretenais de bonnes relations avec certaines d’entre elles, surtout qu’une des leurs était ma dulcinée. Galina, elle se nommait, originaire de Talinn, capitale de l’Estonie, faisant partie des Républiques de la mer baltique. Galina avait une beauté scandinave,  blonde aux yeux bleus, avec une forme en guitare, au sourire ensoleillé. Sa magnificence ne laissait personne indifférente !

Le tintamarre de fourchettes, assiettes et de voix dont l’écho entremêlé de langues congolaises,  soviétiques,  françaises et autres faisaient de ce restaurant pendant les heures de repas, une vraie pétaudière ! Cette ambiance aussi festive que jubilatoire ne me détournait pas de mon but, c’est-à-dire encaisser auprès de mez débiteurs, prendre de nouvelles commandes et me faire de nouvelles relations non seulement pour la bonne marche de mes affaires mais aussi pour perpétuer et m’abreuver de cet héritage que feu mon père, le sage des sages,  m’a légué, c’est-à-dire qu’il n’y a de Savoir,  Pouvoir,  Avoir en dehors des hommes. C’est ici que j’ai connu les jeunes qui à l’époque étaient appelés les nouveaux riches, c’est ici que les enfants des ex Présidents feu Marien N’Gouabi et feu Yombi Opango lièrent amitié avec moi, c’est ici que j’ai fait connaissance avec le grand chanteur Youlou Mabiala, l’auteur de Loufoulakari,  les hommes d’affaires et millionnaires Bouyou George,  Miambanzila, c’est ici que mes admiratrices et conquêtes se fondaient et se confondaient….C’est aussi ici qu’un de mes meilleurs amis me présentera une charmante dame dont il m’avait tout le temps parlé, en me suppliant de lui conter florès parce qu’elle faisait trop le malin. Il se trouve que cette dame n’était autre qu’une des filles du P, que je cherchais à connaître et à rencontrer,  parce qu’un soir, cette dame s’était présentée devant chez moi, accompagnée de militaires armés pour venir crever les 4 pneus de la voiture qui était garée là. Une fois la présentation terminée,  prenant acte de son excellente identité, j’engageai la conversation en lui posant la question suivante : « Vous souvenez-vous de cette voiture dont les 4 pneus ont pris des balles ?»

– ohhhh, c’était vous ?

– Non la voiture était à mon ami qui venait me chercher pour aller au cinéma, mais en cours de route, et en pleine chaussée, il fut victime d’une panne.

– En effet j’étais tout juste derrière lui dans ma voiture, quand les jeunes qui étaient venus l’aider à dégager la voiture, m’ont traité de tous les noms d’oiseaux pour avoir montré mon impatience en klaxonnant. Ainsi j’ai attendu de voir où la voiture allait garer pour revenir après.

J’ai tout de suite deviné la scène ; comme il peut souvent arriver  dans la plupart de nos villes, des jeunes gens désœuvrés qui voient une belle et jeune dame au volant d’une belle voiture, pris d’aigreur,  profèrent des jurons pour se défouler. Une thérapie ?

Sauf que là c’était la fille du chef, et on vit la manifestation du pouvoir drapée dans l’abus.

– Je vous présente mes excuses s’exclama t-elle.

Nous échangeâmes nos coordonnées et devinrent  des amis sans jamais avoir eu l’occasion de rester 5 mn ensembles. Chaque fois qu’on se voyait c’était souvent dans les aéroports, l’un en provenance,  et l’autre en partance. Elle fut à son tour l’épouse d’un chef…

Quelques années après, nous nous trouvâmes  nez à nez dans le pays de son chef, mais le respect du protocole s’imposait à nous. Les regards se croisèrent teintés d’étonnement et de joie dissipée…A jamais nous nous reverrons, ainsi va la vie. Il y a un temps pour tout. 

La Rotonde était pour moi le lieu où aux contacts et aux spectacles se conjuguait le verbe échanger entre les hommes, la meilleure des richesses ! C’est quand l’accalmie revenait dans cette salle,  après le départ des clients, que je pouvais m’attabler à mon tour et déjeuner avec mon admiratrice qui en tant que caissière venait de boucler le service dévolu à l’équipe de l’ouverture qui commençait à 6h du matin et arrêtait à 15h.Une fois le repas terminé avec celle qui était aussi mon assistante, je devais reprendre le trajet contraire en direction de la Cité, pour cette fois-ci rendre visite aux entreprises se trouvant à ma droite. Ainsi j’aurais vu les deux côtés de cette longue avenue.

Une fois ma notoriété acquise dans cette ville, j’étais sollicité par l’élite ; le gouverneur, le maire, les gradés ( lieutenant,  capitaine, colonel généraux…), qui pour des costumes,  qui pour des cravates,  etc. Cette marque de confiance à mon égard se transforma avec certains, en une profonde et sincère amitié. Cette situation va encore créer l’émoi dans le milieu ouest-africain, surtout quand on voyait devant chez moi une voiture garée avec l’immatriculation militaire ou voir un gradé qui en sort. Ces visiteurs que je recevais venaient pour des motifs différents, soit c’était pour aller jouer au tennis, soit pour me confier la surveillance d’un enfant qui nageait dans la piscine où j’étais adjoint au maître nageur. Il arrivait même que des commerçants ou hommes d’affaires congolais sollicitent  mon «expertise» pour les ventes aux enchères, alors que Dieu seul sait que j’étais profane dans ce domaine ; mon succès m’avait joué des tours ! Mais en aucun cas, je ne me suis dérobé à une mission ou tâches à me confier. Au contraire,  c’était toujours une opportunité pour moi de reculer les ténèbres de mon ignorance,  pour être à la hauteur de la confiance placée en moi.

J’avoue en toute sincérité qu’il y eut des moments où j’avais des questionnements sur ma propre personne qui m’amenaient souvent à me regarder dans le miroir tant ma popularité, ma notoriété, pour ne pas dire ma célébrité dans cette ville dont je ne suis pas natif,  prenait trop la lumière, donc j’étais exposé. Cette exposition enfanta de la jalousie à mon égard, qui m’a valu 48 h de garde à vue,  pour me protéger d’un monsieur dont le nom était King et qui une  fois a foncé sur moi dans sa voiture. N’ayant pas pu m’écraser, la roue de devant roula sur mon pied, en effleurant mon genou et, au même moment,  la personne assise à côté de lui  m’arracha ma sacoche et la voiture s’ebranla. Son motif,  qu’on lui aurait dit que sa compagne,  une femme métisse,  était mon amante. Il fut convoqué par les autorités pour le mettre en garde contre une incidence diplomatique. On lui demanda d’aller régler le problème avec sa compagne, de me restituer mes affaires, et que gare à lui si quelque chose m’arrivait, il sera responsable. C’est après que ma garde à vue de protection a pris  fin.

Le prix de la séduction

A d’autres occasions et à plusieurs reprises, assis devant chez moi, je vois des messieurs qui descendent de leurs voitures pour me poser ses questions  : « pourquoi ma femme avec moi dans la voiture vous a salué ? Pourquoi elle vous a regardé… ??? » Ne me laissant pas faire, je rétorquais aussitôt : « De quoi je me mêle ? Allez demander à votre femme…» voyant que je m’exprimais dans un français correct, ils ont compris que je n’étais pas de ces  «sénégalais» victimes d’accusations sous forme de chantage pour les effrayer afin de leur soutirer de l’argent.

Je m’érigeais  par moments défenseur de ces personnes qui souvent n’arrivaient pas à s’exprimer ou en position de faiblesse parce que dépourvues  de papiers de séjour. Apres mûres réflexions, et avec tout ce que je possédais comme éléments de référence, je compris que  l’Afrique Centrale était différente de l’Afrique de l’ouest, et que je me devais de m’adapter, mais sans oublier mes racines, oui parce que j’étais témoin et victime de situations inextricables, qu’inexpliquées.
Par  exemple,  voir ma camarade se battre  avec sa ma maman pour le même homme,  ou me trouver face à deux sœurs qui courtisent le même homme. Sacrilège ! J’ai compris que dans cette société permissive à mon sens,  seule l’application stricte de mon éducation pouvait me mettre a l’abri de l’inceste. Dans cette ville, il y en a qui parlaient de moi, devant moi, sans savoir que c’était moi. Les monténégrines m’avaient donné un surnom ; On m’appelait ‘ chéri Moussa ‘.

Chéri Moussa par-ci,  Chéri Moussa par là, devenu la coqueluche d’une certaine junte féminine, faisait de moi de facto la hantise et la cible de certains hommes peu sûrs d’eux mêmes. Avec cette réputation de seducteur impénitent, mes amis congolais n’acceptaient jamais ma sortie pendant nos excursion sans que je ne sois en couple, car pour eux c’était la seule façon de se protéger de mes assauts ou de me mettre à l’abri de toutes convoitises qui pouvaient plomber l’ambiance. Je vais même me faire interdire, à ma grande surprise,  une partie de la plage N’djindji fréquentée par les immigrés européens,  sous prétexte que je viens exiber mon physique en maillot de bain pour appâter leurs femmes. Par contre,  à l’hôtel du même nom,  j’étais bien reçu par son directeur général, un franco- algérien du nom de Rachid  Zerrouki qui me considérait comme son frère, ayant  donné des consignes strictes à son personnel de me laisser toujours accéder à la piscine à n’importe quelle heure. Ainsi sans compter les jours ordinaires, je venais les samedis nuits après la boîte,  faire prendre le bain de minuit accompagné de mes amies éthiopiennes qui aimaient tant nager. Que de moments heureux !

Mes affaires continuaient à prospérer, de vendeur de fringues, je prospectais auprès des entreprises pétrolières et commerçants ouest-africains pour connaître leurs besoins.  C’est ainsi que moi qui n’était pas très apprécié par les vieux et gros commerçants de ma communauté était devenu l’intermédiaire entre elle et les grands fournisseurs et armateurs qui avaient des marchandises à liquider avant débarquement depuis le port de Pointe-Noire.

Un jour parti chercher à Novotel Mboumvoumvou de Pointe-Noire un de mes clients fournisseur de pâtes alimentaires, je vis un monsieur qui s’avança vers moi, se présentant et se mit à me poser tas de questions ; dans quoi travaillez-vous ? D’où êtes vous ?…. Ce monsieur, un libanais, faisait partie de la délégation des Présidents Sassou et feu Sankara venus à Pointe-Noire pour inaugurer la Tour Mayombe, la ville était en fête. Pendant qu’il continuait à échanger avec moi,  s’avança un autre monsieur vers nous que je reconnu tout de suite, c’était le professeur feu Seydou Badian Kouyaté, auteur de l’inoxydable «Sous l’orage» et Conseiller politique du Président Sassou Nguesso.

– Salut fiston, Keita

– Salut tonton Seydou

Aussitôt il s’adressa avec un ton ferme au libanais qui s’appelait Kamourim puisqu’ils se connaissaient dans le cercle du PR

-Keita est mon filston attention, pas lui.

– Compris Excellence,  je voulais que ton filston me montre où se trouve le siège de LINA Congo ( Ligne Nationale Aérienne).

Comme nous étions dans le hall de l’hôtel,  j’invitai  M Kamourim à venir avec moi sur le perron de l’hôtel, pour lui montrer la compagnie aérienne qui se trouvait en face, et il profita en ce moment là pour me communiquer le numéro de sa chambre et me fixea rendez-vous pour le lendemain, afin que nous puissions parler affaires.

Quand je me présenta mi à la réception de Novotel le lendemain comme convenu, on fit comprendre que M Kamourim m’attendait dans sa chambre. J’ai trouvé la porte déjà entrouverte quand j’y toquais.

– Entrez, me répondit-on

Je m’exécutai et refermai la porte derrière moi. Pour qui connaît la configuration des chambres Novotel,  il y a deux portes ; une fois la première franchie, vous accédez au premier compartiment avec  les toilettes et la penderie, et de là  on franchit la deuxième porte pour se trouver dans la chambre.

Quelle ne fut pas ma surprise de trouver M torse nu, couché dans son lit. Il me fit signe de m’asseoir sur la banquette, après les salutations il enchaîna :

– Je vous ai remarqué la nuit de mon arrivée dans la boîte quand vous dansiez avec une belle, votre portiez un ensemble jean qui vous moulait le corps en mettant en relief,  vous êtes un tombeur vous ?!

Je me rappelai aussitôt de la mise en garde faite à M Kamourim par le professeur Seydou Badian Kouyaté : «  Attention KEITA c’est mon filston pas lui ». Là je compris que j’avais à faire à quelqu’un de la «la rive gauche» et je réalisai que je me suis jeté dans la gueule du loup. Comment sortir de cette tanière ? Au même moment,  il enchaina :

– Comme vous êtes dans les affaires,  je suis prêt vous aider. J’ai mon frère jumeau qui s’appelle Kamourem et il vit en Espagne. Si tu veux continuer dans les affaires,  je peux lui demander de te livrer par moi des conteneurs d’alimentation. Par contre si tu veux, je peux te monter une société de location de voiture, comme je l’ai fait pour Sharir à Brazzaville,  le connais tu ?

– J’ai entendu parlé de lui, n’est-ce pas celui qui ne possède que des BMV dans son parc de location ?

– En effet, c’est lui. Si toi, tu le souhaites,  ton parc ne sera composé que de Mercedes ici à Pointe-Noire. Ainsi vous serez mes deux amis. Quand penses tu ?

Avant même que je lui réponde, il me pinça la cuisse en me disant : « tu as de beaux muscles toi hé tu as du savon dans les toilettes vas y ou ce sera moi qui vais me le f …..». Avec son langage codé et de par ses faits et gestes, Il était devenu salace, ses yeux changèrent de couleur. Quand il sentit que je voulais m’échapper,  il se mit à travers le passage pour m’empêcher de sortir. En ce moment, le téléphone sonna. C’était Madame la 1ère Patronne qui,  au bout  du fil, lui demandait de venir en urgence parce qu’on l’attendait pour sortir diner. 

– Oui ,oui Mme la 1ère Patronne je suis à vous tout de suite, j’arrive,  j’arrive..

Déjà débout,  prêt à m’extirper de là, il raccrocha le téléphone et ouvrit devant lui le tiroir dans lequel je vis un pistolet et des liasses de billets de banques. De sa main droite, il puisa une quantité de liasses sans compter, qu’il enfonça dans la poche de ma chemise, tout en me tirant avec sa main gauche vers lui voulant poser sa bouche sur moi, en me suppliant tout tremblotant de revenir le voir. Dans un geste brusque, précis et ultime, j’eus le temps de le repousser et de me dégager, en frôlant sa joue. Tremblant à  mon tour, je fus envahi de nausée. Une fois hors de la Chambre, je me mis à cracher sans cesse sur la moquette en traversant tout le hall en longues enjambées. 

Je venais d’échapper à une tentative de violence, je peux même dire que je venais d’échapper à la mort. Vous conviendrez avec moi que n’eût été le coup de fil salvateur de madame la 1ère Patronne,  ce monsieur m’aurait menacé avec son arme pour assouvir sa forfaiture. Sachant que j’aurais résisté de toutes mes forces, c’est sûr qu’il allait s’en suivre une altercation ; soit il me tirait dessus, où il appelait le secours à la réception de l’hôtel pour m’accuser de vol ou autres. C’était sa parole contre la mienne ! Vous seriez d’accord avec moi que ma parole n’aurait aucune valeur,  vu ma position inconfortable d’être non seulement dans sa chambre, il était aussi quelqu’un d’en haut d’en haut.

Sortir indemne de cette situation était un miracle. Je rendis grâce à Dieu et remerciais mes parents de m’avoir bien éduqué pour ne jamais céder à la facilité. Pendant 3 jours, bien que toute la délégation soit repartie, M Kamourim est resté à Pointe-Noire dans l’espoir de me voir. Renseigné sur mes fréquentations, il faisait le tour de mes amis, qui à ma vue, me disaient ceci sur un ton badin : « Moussa ton mari te cherche » Quand il comprît que je ne pouvais être la ‘ co-epouse ‘ de Charris, et que je n’étais nullement intéressé par ses conteneurs et ses Mercedes-Benz , il finit par quitter cette ville de Pointe-Noire qui m’offrait tant d’émotions.

J’apprendrai quelques temps après que Charris était mort de sida ( Syndrome imaginaire pour décourager les amoureux), en laissant derrière lui son parc automobile de BMW.

A  la faveur de la guerre au Tchad en 1982, avec la la rentrée des troupes de Hussein Habré dans la capitale mettant fin à guerre,  je fus  contacté par M NGarmebassa représentant de Coton Tchad à le rejoindre dans son entreprise qu’il avait créée parce qu’il était partisan de M Goukouni, rival de Habré.

C’est la première fois que j’ai accepté d’être employé par un tiers au Congo. Il faut reconnaître que mes relations avec mon employeur,  furent des plus amicales, toute chose qui a été facilité par son épouse, qui était pour moi une  amie, en même temps une sœur.  Avec son mari,  j’ai sillonné toute l’Afrique Centrale sauf bien sûr le Tchad pour l’installation des succursales de son en entreprise dénommée SAPIMEX ( Sté Africaine de Production et d’Import Export ). Cette relation me permit de connaître les acteurs politiques tchadiens qui résidaient en grand nombre au Congo, mais aussi leur histoire.

Toujours curieux, assoiffé d’aventures et de découvertes , me voici devenu,  moi l’homme du monde,  consommateur d’esthétique,  épicurien sur les bords, co-gérant d’un restaurant situé à la Cité. Au sommet de ma popularité, j’ai un ami français qui me proposa de travailler avec lui dans un restaurant qu’il avait pris en gérance, au milieu des N’gandas ( restaurant-bar-dansant à l’africaine ), il n’arrivait pas à s’en sortir parce qu’il n’avait pas les mêmes tarifs ni les mêmes menus. 

En trois jours,  j’apportais ma touche à ce restaurant que je renommais‘ La Paillote ‘ en inscrivant les plats de spécialités africaines sur la carte, aussi en le programmant pour le petit-déjeuner et le dîner. La paillote devint le passage obligé les matins pour prendre son petit-déjeuner  ou se procurer de croustillantes viennoiseries fabriquée par l’une des meilleures boulangeries de le place, qui appartenait à Papa Lobo, un portugais marié à une congolaise, dont le premier fils était mon ami. Celui la même qui m’avait présenté la fille du grand patron. 

José Lobo était un garçon d’une grande générosité avec lequel j’ai entretenu une grande complicité, empreinte parfois de confidentialité.  La seule boulangerie qui rivalisait avec celle de la famille Lobo, à la Cité, était celle appartenant à M François Mpelé, le légendaire footballeur Congolais, vainqueur de la coupe d’Afrique des Nations contre le Mali en 1972, au Cameroun.

Pour la petite histoire, il y avait un bar à Pointe-Noire situé à la rentrée du marché,  entouré d’étales et de boutiques appartenant aux maliens, qui avait pour générique d’ouverture tous les matins à 10h l’audio de la finale entre le Congo et le Mali ; la séquence où François Mpelé marqua le 3ème but. C’était sa façon de chahuter la communauté malienne.

Ma fidèle clientèle de la Paillote était en partie composée les samedi et dimanche de mes amies soviétiques,  éthiopiennes et congolaises accompagnées de leurs enfants ou pas. Les soirs pendant et après le dîner, l’ambiance était festive. Ne buvant pas l’alcool,  et n’y touchant pas, le service du soir était assuré par mon collègue et co-gérant, Ybettini, toujours souriant, un garçon d’une gentillesse aussi déconcertante que laxiste. Il était tout simplement irresponsable ; plus de la moitié de la recette de la soirée était soit en crédits ou offerte. Cerise sur le gâteau, il avait un penchant pour l’alcool, donc n’hésitait pas à se servir dans la cave comme bon lui semblait au détriment des clients qui, la plupart du temps s’entendaient  dire « c’est fini, on est en rupture » mettant ainsi la gestion du restaurant en difficulté. Il terminait la soirée bourré. Ayant fait fi de mes multiples remontrances et des invitations de nos amis communs, je mis fin à mon contrat à la Paillote,  qui ferma définitivement. Mon amitié resta intacte sans rancune avec Ybettini qui avait un bon fond. Comme aventure humaine,  elle fut physiquement éprouvante, mais mentalement stimulante !

Pointe-Noire n’était pas une ville musée comme Paris,  ni une ville parc comme Montréal, mais elle reste pour moi une ville de représentation où à chaque coin de rue on a l’impression de voir des scènes avec des artistes. Tout est spectacle ! Les dimanches après-midi quand je partais à la plage,  j’assistais gratuitement avec plaisir et joie à l’un des plus beaux spectacles de la ville, en plus à côté de chez moi.

Mon habitation à la Cité  se trouvait dans le quartier près du marché, qui était peuplé en majorité des ouest-africains, dont la dominante était des ressortissants togolais,  béninois et Nigeria, qui avaient en commun la langue yoruba ( ici on les appelle les popos). Comme voisins, deux bars très connus et brouillant : le premier avait pour nom ‘ Chez la veuve N’djembo’, c’est devant ce bar que je vis une de mes amies qui se faisait appelée mannequin de Christian Dior, tellement elle était sûre et fière de sa taille, se battre avec sa génitrice pour un homme. Le second bar plus intéressant se nomme ‘ Les Retrouvailles’, l’arène des sapeurs, où se déroule tous les dimanches leur défilé.

La Sape ou la mort

C’est assis sous la véranda devant la concession que se déroulait sous mes yeux ce spectacle gratuit tous les dimanches quand je ne sortais pas pour la plage ou quand je ne partais pas échanger quelques pas de danse en matinée dansante en dehors de la ville, à ‘Songolo les bain’, dancing situé en plein air sur la bordure d’un lac, à l’orée d’un bosquet. Ici l’ambiance était bon enfant.  Le cadre très pittoresque conférait un air de pique-nique.

C’est à 14h sous un soleil de plomb que ce que j’appelais le carnaval de Pointe-Noire,  superlatif de tous les paradoxes,  commençait. Paradoxe parce qu’ici on ne tient pas compte du temps pour choisir sa sape : c’est ainsi que je vois débouler de ma droite vers la gauche le premier sapeur qui ouvre le bal. Habillé dans un pull en laine mérinos, de couleur rouge vif, et d’un pantalon en cuir de couleur verte à vous crever les yeux. Dégoulinant de transpiration, imitant la démarche d’un caméléon. Son poursuivant direct portait un gilet en cuir noir sur pantalon jaune à carreaux,  avec une paire de lunettes solaires dont le contour est en fer, en se dandinant comme un canard. Derrière lui se présentait un concurrent tirant une pipe  d’environ 50cm de longueur, dans un pyjama d’un brillant qui rivalise avec le miroir tellement le reflet est aveuglant. On n’a pas fini de l’apprécier qu’on aperçoit un parapluie multicolore tournoyant sur une tête, tenu par quelqu’un qui fait le porte canne. Habillé dans un costume prince de galle,  dont l’imitation est visible,  il arbore une cravate club qui lui descend jusqu’aux genoux, chaussé d’une paire en croco dont le bout pointu rappelle le bec d’un perroquet. Il marchait  dans une nonchalance qui frise l’élégance.

Dans cette procession,  chacun doit de prendre son temps pour mieux se faire remarquer, en pirouettant sur soi afin de prétendre être un maître dans la sapologie. Un manège où rien n’est négligé : les cheveux gominés, le teint éclairci par des produits non recommandables, sans compter les accessoires tels que les lunettes, les bretelles,  les ascotes,  les cravates les parapluies, les chapeaux melons,  le tout agrémenté de couleurs et aussi de la façon de se mouvoir qui vous fait penser aux animaux de ‘ Ndoumbelane ‘ pour ceux qui ont lu « Leuk le lièvre » de Leopold Sedar Senghor et Abdoulaye Sadji. La finesse,  l’élégance ou l’extravagance font partie des critères de sélection . Pourvu que cela soit approprié par les spectateurs.

La deuxième partie de ce spectacle se terminait  dans l’enceinte du bar, chacun attablé avec ses supporters pour le concours des grands  buveurs. A la fin, de table en table, le jury comptait le nombre de casiers de bière. Ainsi la table qui aura consommé le plus de bières est proclamée vainqueur. Sauf qu’on n’a pas le temps de savourer sa victoire que les bouteilles volaient en éclat. Dans ce chari-vari, la plupart des sapeurs étant éméchés, c’est le pugilat qui prenait le dessus en  mettant à nu la solidité des sapes. Et le retour vers le dominé se fait en lambeaux.

C’est au sortir d’une de ces journées haletantes et haut en couleurs qu’on m’annonça le décès d’un proche ami, et je devais me rendre chez ses parents pour assister au matanga ( veillée mortuaire), une autre occasion où se joue la dramaturgie congolaise. Ici  la musique,  la couleur,  la chaleur,  l’amour.

Dans ce pays où la tristesse devient joie, l’univers avait conspiré en ma faveur, mais hélas le décès de mon bien aimé père a sonné le glas de mon séjour. Ce fut un rêve inachevé.

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